Récits

Quelques mots pour dire des histoire et raconter des souvenirs

Le soleil et la lune (janvier 2018)

Il était grand son bac à sable. Il faisait chaud dans son bac à sable, très chaud. C’était chez lui, chez Charlie, le Béninois de Ouidah. Il conduisait sa moto taxi toute la journée dans les petites rues en sable chaud, en sable rouge, et nous transportait de villages cachés en cérémonies secrètes, à la rencontre des rites Vaudou. Le dernier des trois sur un siège pour deux, j’étais accroché à moitié dans le vide, en totalité au-dessus du vrombissement et de la poussière. Ces trajets pouvaient durer quelques minutes comme des heures, me laissant seul avec le bruit de la bécane, tout juste interrompu par les “salut Yovo” lancés par quelques enfants croisés dans un sourire, seul dans la chaleur de mon casque, dans des pensées qui devenaient étourdissement.

Le soleil était déjà à midi à 9h du matin. Le soleil était brûlant, il faisait coller les vêtements à la peau, il faisait transpirer les cheveux, il asséchait la respiration et ramollissait les muscles. Ce soleil là, on ne l’invitait pas, il s’incrustait et prenait toute la place. Même sous les arbres il était difficile de s’en cacher. D’ailleurs, les arbres aussi souffraient de ce soleil, certains à en mourir, calcinés ! Sous ce soleil, la peau rougissait vite et plus tard brûlait. Il fallait mettre de la crème. Il donnait aussi mal à la tête. Il fallait boire. Ce soleil transformait la terre en poussière et l’herbe en cendres. Les sièges des motos taxi absorbaient la chaleur qu’ils restituaient aux fesses des passagers téméraires. Suer sous le casque, et sous le pantalon. Que pouvait-on faire sous ce soleil? Pas grand chose. Ne pas essayer de l’affronter, économiser ses mouvements, boire. Se plaindre ne servait à rien, le soleil n’a jamais écouté. Il valait mieux l’éviter ce soleil. Aller le draguer lorsque ses rayons font encore leurs étirements du matin, avant 8h, ou bien le soir, après 18h, lorsque sa majesté se pare de tons rougis et commence à se cambrer, à regarder le monde en oblique, avant de parfaitement se coucher à l’horizontal et de ranger ses rayons sous l’horizon. Il dort le soleil.

Il dort enfin, et nous laisse regarder une dernière fois la lueur qu’il projette dans le ciel resté accroché au-dessus, sans lui. Lui est parti en éclairer d’autres. De notre côté, la lune se glisse alors dans la chambre, timide, modeste, elle semble tellement inoffensive. On dirait un chaton qui succède à un lion. Il rugissait, elle miaule. Il arrosait de lumière, elle cherche la boite à fusibles avec une lampe torche dans la bouche. Il brûlait tous ceux qui osaient le défier trop longtemps, elle ne ferait pas de mal à une allumette qui la regarderait aux jumelles. Il mettait tout le monde dans la plus grande lumière, elle nous caresse à peine et dessine des formes approximatives à quelques mètres. Il donnait l’heure, elle ne donne même pas un point de repère, laissant ce rôle à sa voisine l’étoile polaire. Il déshydratait, elle fait couler des flots d’alcool dans les ports du monde et annonce le souper. Tout le monde sait la lune inoffensive, et les malins en profitent. Dès la nuit tombée, les moustiques, les voleurs, les dragueurs, les animateurs télé, les organisateurs de soirée, sont de sortie. Les autres ont trop résisté au soleil toute la journée, la fatigue les attrapent et ils se laissent prendre comme victimes de cette caste des noctambules audacieux. Le soleil était leur Roi, mais chaque soir ils font leur petite révolution, d’un coup de godet, d’une virée cachée, de grands projets où le monde est refait, d’une amourette, d’un pavé jeté dans une petite vie rangée. On porte la journée au bout d’une pique, on jure qu’on ne fait pas ça pour l’argent, que c’est temporaire, on brûle la hiérarchie, on dit que demain tout sera différent, on marchera sur La Défense. Les soirs de fatigue, la lune n’y suffit pas, il arrive même qu’elle ne se montre pas, alors on rentre faire un plat de pâtes et s’allonger sous la guillotine de la routine. Coupons-nous la tête, elle repoussera au prochain soleil, demain 6h, dans un vacarme qu’on appelle radio-réveil.


Matthieu Nicoletti